Jeu de la vie, robot biologique et vie artificielle

Robots and biology

Selon le paradigme de la vie artificielle, la vie est une propriété de l’organisation de la matière, et n’a donc pas besoin de la chimie des chaînes de carbone pour émerger. Sommes-nous sur le point de créer artificiellement du vivant ?

De l’automate cellulaire au jeu de la vie : la naissance du paradigme de vie artificielle

Si la vie est une propriété de l’organisation de la matière, saisir son essence suppose de parvenir à modéliser logiquement son architecture, et en tout premier lieu sa capacité d’auto-réplication.

L’automate cellulaire s’impose ainsi comme l’outil privilégié des recherches sur la vie artificielle. Petit programme informatique, il implémente une grille avec des cases noires et blanches, ou « cellules », qui changent de couleur, selon l’état de leurs voisines. Le plus célèbre des automates cellulaires, ou « jeu de la vie », fut conçu par John Conway dans les années 1970. Chaque case peut prendre la valeur 0 (morte) ou la valeur 1 (vivante). L’évolution de chaque cellule est régie par les règles suivantes :
– si une cellule « morte » a exactement trois cellules voisines « vivantes », elle devient vivante ;
– une cellule vivante « survit », si elle a deux ou trois voisines vivantes ;
– la cellule meurt ou reste morte dans tous les autres cas.

Ces règles pourtant très simples produisent des phénomènes observables surprenants, l’un des plus connus étant celui du « planeur », forme en « V » qui suit une trajectoire descendante horizontale avant de regagner son état d’origine.

Illustration d'un automate cellulaire conforme aux règles du Jeu de la vie (source : Golly)
Illustration d’un automate cellulaire conforme aux règles du Jeu de la vie (source : Golly)

Dans les années 1980, Christopher Langton, informaticien américain, parvient à concevoir un automate cellulaire auto-reproducteur, sans qu’aucune règle de réplication n’apparaisse dans l’écriture des règles de transition d’états de l’automate. La « boucle de Langton » reproduit incessamment un motif en forme de boucle dont le développement fait penser aux massifs de corail. Il démontre ainsi que l’auto-réplication, caractéristique essentielle de la vie, peut émerger sans être explicitement codée. Il serait donc tout à fait possible d’envisager des robots comme des logiciels de RPA capables d’auto-réplication.

Christopher Langton défend alors une version dite « forte », du paradigme de la vie artificielle : si les propriétés nécessaires et suffisantes de la vie sont purement logiques, alors il est possible d’implémenter des systèmes vivant à partir d’un support informatique.

Bio-organismes synthétiques : des organismes programmables ou des robots vivants ?

De nos jours, la biologie synthétique utilise des algorithmes d’intelligence artificielle pour créer de nouveaux organismes vivants. Peuvent-ils être envisagés comme l’incarnation d’une « vie artificielle forte » ?

En 2020, une équipe de chercheurs américains donnait naissance aux « xénobots », qualifiés d’organismes programmables ou de robots vivants. De taille millimétrique, ces organismes biosynthétiques composés de 500 à 1000 cellules souches de grenouille, sont capables de se déplacer vers une cible, de s’auto-régénérer, ou de transporter de minuscules charges. Ils sont dits « programmables », parce que leur organisation a été conçue par un algorithme évolutionniste ayant sélectionné les architectures les plus prometteuses. Mais l’assemblage réel des cellules selon ce modèle virtuel suppose l’intervention matérielle des scientifiques.

Il n’y a pas de lien direct entre le programme informatique et l’organisme vivant. Nous ne pouvons donc pas parler d’une véritable « programmation du vivant ». Par ailleurs, les xénobots ne sont que des recombinaisons de briques déjà vivantes. La vie des xénobots n’émerge pas sur un support artificiel, et n’est donc pas un exemple de vie artificielle forte.

Par contre, nous pouvons sans doute qualifier les xénobots de robots vivants. L’étymologie du mot robot, l’assimile à un être animé, créé artificiellement et capable de travailler pour nous. Or les chercheurs envisagent déjà de nombreuses applications pour leurs xénobots, telles que la distribution ciblée de médicaments dans l’organisme humain ou l’assainissement de l’environnement.

Vie artificielle virtuelle et robotique ne peuvent que simuler le vivant

La vie artificielle propose la modélisation virtuelle des caractéristiques moléculaires du vivant ; la robotique peut opérer la reproduction matérielle des fonctionnalités macroscopiques d’un organisme ; et la biologie synthétique est capable de recombiner le vivant pour lui adjoindre de nouvelles fonctionnalités. Pourtant, nous ne savons pas produire artificiellement du vivant à partir de la matière inerte.

Si l’on s’accorde à penser que les molécules constitutives de la vie, tels que les acides aminés, peuvent être synthétisées à partir de la matière inerte, il y a un véritable saut de complexité entre ces molécules et les cellules vivantes. L’organisation des molécules organiques en des cellules capables de se dupliquer et de transmettre l’information génétique est loin d’être élucidée. Dans les organismes vivants tels que nous les connaissons, les réactions chimiques au sein des cellules se font par l’intermédiaire de catalyseurs, protéines qu’on appelle enzymes. L’ADN et l’ARN (acides nucléiques) encodent l’information nécessaire à la synthèse de ces protéines, qui sont elles-mêmes nécessaires à la formation des acides nucléiques. Nous sommes donc confrontés à un problème de circularité : qu’est ce qui survient en premier, l’ADN ou les protéines ?

C’est justement cette interdépendance entre phénotype et génotype, architecture fonctionnelle et programme informationnel, que nous sommes incapables de reproduire. L’auto-reproduction naturelle suppose que toutes les informations nécessaires à la duplication soient contenues dans la cellule elle-même. Nous savons faire évoluer parallèlement :
– le génotype d’un automate cellulaire ou d’un robot virtuel : ensemble de paramètres algorithmiques qui définissent une configuration particulière ;
– le phénotype ou architecture matérielle et fonctionnelle d’un robot réel.

Mais nous ne savons pas imbriquer, lier de façon nécessaire ces deux évolutions. C’est pourquoi la vie artificielle et la robotique ne peuvent aujourd’hui que simuler le vivant. Il faut distinguer vérité et réalité : le caractère de vérité se rapporte à un jugement à propos de la réalité, quand la réalité qualifie elle ce qui existe. Ainsi, quand bien même la représentation informatique du vivant serait vraie ou parfaite, elle ne suffirait pas à le faire émerger dans l’être, à faire qu’il existe.

« La vie ne peut se confondre avec une représentation, aussi fidèle que l’on désire, de la vie. »
Philippe Goujon, dans Critique et limites de la vie artificielle forte

A propos de StoryShaper : 

StoryShaper est une start-up innovante qui accompagne ses clients dans la définition de leur stratégie digitale et le développement de solutions d’automatisation sur-mesure.

Sources : StoryShaper, Goujon Philippe, « Critique et limites de la vie artificielle forte. Des leçons de l’Intelligence Artificielle aux résistances de la vie », Tournay Virginie, « La vie artificielle. Entre vie naturelle et système technique »

Laisser un commentaire