Nous ne comptons plus les articles prédisant l’avènement d’une intelligence artificielle capable de lire en nous comme dans un livre ouvert. Entre fantasmes et avancées technologiques, où en est la recherche sur les interfaces cerveau-machine ? La robotisation de l’humain est-elle en marche ?
Dynamiques neuronales : notre cerveau fonctionne en réseau
Le cerveau est composé de deux hémisphères, comptant chacun quatre lobes : frontal, pariétal, occipital et temporal, couramment désignés comme les centres de fonctions mentales plus ou moins bien identifiées (langage, raisonnement, émotions…). En deçà des lobes cérébraux, des zones plus précises ont été identifiées, telles que l’aire de Broca, dédiée à la production de mots articulés, ou encore l’aire de Wernicke, impliquée dans la compréhension des mots.
Toutefois, cette approche dite « localisationniste » (une fonction cognitive = une aire cérébrale) se heurte à la dynamique systémique de notre cerveau, composé de quelque cent milliards de neurones qui fonctionnent de façon massivement parallèle et distribuée. Pour ne donner qu’un exemple parmi d’autres, il n’y a pas de centre de la mémoire, ou de disque dur localisé stockant l’ensemble de nos données. Chaque souvenir est associé à la stabilisation provisoire d’un réseau de neurones distribués à travers différentes structures cérébrales.
Ainsi, si nous connaissons de mieux en mieux l’architecture de notre cerveau et le fonctionnement électro-chimique de ses cellules, nous sommes loin de savoir comment nos fonctions cognitives émergent.
Plasticité neuronale ou comment nos pensées résistent à une « lecture » automatisée et standardisée
Les techniques de neuro-imagerie fonctionnelle (imagerie par résonance magnétique, tomographie par émission de positons, ou électroencéphalographie) permettent d’observer le cerveau en activité et établissent des corrélations toujours plus précises entre structures d’activation cérébrales et fonctions mentales. Mais s’il est possible de détecter des schémas d’activation similaires entre différents individus réalisant une même tâche cognitive (parler, bouger…), l’encodage neuronal d’une image spécifique (une lettre, un animal, un visage…) est propre à chaque personne. La plasticité neuronale ou la capacité du cerveau à réagencer ses connexions selon les expériences vécues, garantit son caractère unique.
L’automatisation de la traduction de notre activité neuronale est donc exclue puisque nous ne pouvons pas établir un dictionnaire bilingue « activité cérébrale – représentation mentale » universel. La transformation digitale de nos réseaux neuronaux n’est donc pas pour demain.
Interfaces cerveau-machine, définition et promesses thérapeutiques
Au croisement des neurosciences et de l’intelligence artificielle, les interfaces cerveau-machine (ICM) sont capables d’interagir avec l’activité cérébrale d’un individu.
Des personnes dont les fonctions motrices sont altérées peuvent ainsi apprendre à contrôler une prothèse ou un exosquelette par la pensée , leur activité neuronale étant enregistrée et traduite en commandes par l’interface. Les ICM peuvent également compenser des déficits sensoriels, c’est alors un stimulus extérieur qui active un dispositif implanté pour induire une activité cérébrale : c’est le cas des implants cochléaires (pour remédier à la surdité) ou rétiniens (pour permettre de restaurer la vision).
Les promesses thérapeutiques sont extraordinaires. Les personnes paraplégiques pourraient retrouver l’usage de la marche, grâce à l’implantation d’électrodes sur le cortex moteur et la moelle épinière. Il semble donc possible d’agir sur notre environnement et même sur notre corps via une interface cerveau-machine capable de traduire notre activité cérébrale en commandes plus ou moins complexes.
« Des scientifiques sur le point de lire dans les pensées d’autrui » titrait déjà Le Monde du 27 septembre 2011
Grâce à la technologie IRM, Shinji Noshimoto avait pu observer l’activité du cortex visuel d’individus regardant un film. En enregistrant les corrélations entre les stimuli visuels et les activités cérébrales, une interface cerveau-machine avait ensuite été capable de reconstituer très grossièrement certaines des représentations mentales de ces individus, rien qu’en observant leurs structures d’activation cérébrale.
Dix ans plus tard, les ICM supposent toujours une phase d’apprentissage similaire qui consiste à corréler certaines activités neuronales à des représentations mentales spécifiques, pour créer une sorte de dictionnaire d’activités neuronales très limité, spécialisé dans un domaine de représentations ultra-précis, et propre à un seul individu. Une ICM peut ainsi aujourd’hui être entraînée à reconnaître au sein de notre activité cérébrale, quelque traits caractéristiques d’un visage : cheveux longs, sourire… En ce qui concerne le décodage de nos pensées verbales, une ICM a récemment été capable de retranscrire sur ordinateur les lettres qu’un individu s’imaginait tracer à la main.
Pour être fonctionnelles les ICM doivent se concentrer sur une infime partie de notre activité neuronale. Elles sont donc incapables de retranscrire le film de notre pensée qui mobilise de très vastes réseaux neuronaux.
Neuralink ou le rêve d’une intelligence humaine augmentée : entre effets d’annonce et réalité
Le 9 avril 2021, Elon Musk tweetait « Un singe joue à Pong avec son esprit ». Une puce implantée dans le cerveau du singe est capable d’interagir avec l’interface cerveau-machine développée par la société Neuralink. Cette puce connectée nommée « neural lace » représente-t-elle une révolution technologique ?
Il y a déjà plus de 15 ans, l’équipe de John Donoghue (Brown University, Rhode Island) était parvenue à implanter un composant électronique de quelque millimètres dans le cerveau d’une personne tétraplégique, ce qui lui avait permis non seulement de jouer au ping-pong électronique, mais également de contrôler une prothèse externe de main, de consulter ses e-mails, ou encore de changer de chaîne de télévision.
Neuralink ne brille donc pas encore par ses prouesses technologiques mais bien par l’ambition de son promoteur, Elon Musk, qui espère pouvoir opérer une véritable symbiose entre l’humain et l’intelligence artificielle, de façon à augmenter notre intelligence et notre capacité de mémoire de façon exponentielle. Mais restons réalistes et rappelons que chaque cerveau est un réseau interconnecté unique comprenant près de 10 000 milliards de synapses ou connexions nerveuses. C’est pourquoi il est aujourd’hui exclu de pouvoir concevoir un implant bionique capable d’augmenter nos capacités de mémoire. Nous ne savons pas connecter une base de données à notre cerveau, car chaque information digitale implémentée devrait être reliée à des milliers d’autres déjà incarnées dans nos structures neuronales, avant de commencer à avoir un sens pour le sujet bionique.
La transformation digitale de la société ne sera pas l’aboutissement de la robotisation de l’humain. Car tant que notre cerveau conservera ses mystères, l’intelligence artificielle ne pourra ni le remplacer ni entrer en symbiose avec lui.
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Sources : StoryShaper, Wikipedia